au-dessus d’une chape de nuages gris comme l’enfer d’où tombent des flocons qui repeignent le décor d’un gris clair vaguement bleuté, quand j’arrive à la gare de Saint-Louis. Objectif du jour : me rendre à Mulhouse, à 30 km de là, dédicacer mes romans à la librairie Littéra – Rougier & Plé, sur la place de la Réunion… île dont les plages paradisiaques me semblent si loin à cet instant.
Au moment de grimper sur le quai, je me rends compte qu’une affluence inhabituelle m’entoure, et que comme la dernière fois au retour de Colmar, ça parle toutes les langues. En laissant traîner mes oreilles autour d’un jeune couple hispanophone, je comprends les raisons de cette affluence : nombre de ces gens sont des touristes qui attendent le train pour monter vers Colmar et Strasbourg, visiter l’attraction touristique de la saison : les fameux marchés de Noël alsaciens. Il n’empêche que dès ce moment là, mes espoirs de voyager tranquille, dans un wagon à moitié vide, où je pourrais tranquille réviser mes argumentaires de vente s’effondre.
Lorsque le train arrive – avec dix bonnes minutes de retard – c’est la stupeur : ce dernier, parti de Bâle, en Suisse, est *déjà* plein à raz-bord ! Comment entrerons-nous tous à bord ? La réponse, les Parisiens habitués du métro à l’heure de pointe la connaissent bien : on s’y entasse comme on peut ! C’est comme ça que je me retrouve coincé entre deux wagons, entouré de touristes ouzbeks au look à la Ghengis Khan qui parlent une langue que les « Da ! » et les « Niet ! Niet ! » omniprésents me font identifier comme du Russe.
Problème : le seul autre mot que je capte à leur discussion est « Strasbourg »… leur probable ville de destination ! Sauf que s’ils ne s’écartent pas pour me laisser sortir à Mulhouse, la dédicace est déjà mort-née ! J’essaie donc de leur parler, mais peine perdue : leur Français est équivalent à mon Ouzbek, leur Allemand idem, quant à l’Anglais et l’Espagnol, c’est à peine mieux. En désespoir de cause, je demande à Google de me traduire : « laissez-moi sortir à Mulhouse » en Russe, mais quand je leur sors la phrase obtenue, je ne vois que des points d’interrogation dans leurs yeux… faut croire que mon accent ne doit pas vraiment le faire. Sauf qu’à ce moment-là, les quais de la gare de Mulhouse sont déjà en train de défiler sous mes yeux… c’est alors que je me souviens d’un mot que j’ai souvent entendu aux infos, quand sur le front ukrainien, les soldats des deux camps ordonnent à leurs camarades d’avancer. Ce mot, c’est « Davaï », qui veut sans doute dire quelque chose comme « Allez ! ». Là, le train s’immobilise déjà, et eux bloquent encore la sortie. Du coup, avec l’énergie du désespoir, je leur lance des sonores « Davaï, davaï, Spassiba ! », tout en leur faisant signe de me laisser passer. Cette fois, de justesse, ils comprennent, et je parviens à sauter sur le quai de Mulhouse juste avant que le train ne reprenne sa course vers marchésdenoëlland… ouf !
De là, je file vers la librairie, alors que ma dédicace devrait déjà avoir commencé. Je manque de me viander sur le verglas qui recouvre les ponts qui traversent l’Ill, la rivière qui coupe Mulhouse en deux, puis je file vers la place de la Réunion, où je m’engouffre dans la librairie, située au sous-sol du numéro 25, zappant le marché de Noël local. Allez mec, Davaï, davaï, y’a des lecteurs qui t’attendent !






Aussitôt dans la place, je prends contact avec l’équipe – que je connais déjà de ma dédicace de l’an dernier – et que je retrouve avec plaisir. Trente seconde plus tard, ma table est fin prête : livres bien disposés, marque-pages prêts à servir, photos pour les réseaux sociaux faite, ne manquent plus que les lecteurs… qui visiblement ont eu la même réaction que j’aurais eu un samedi « normal » : ne pas quitter le lit, et se calfeutrer bien au chaud, loin du vent sibérien qui souffle dehors.
C’est alors que l’angoisse me saisit : et si personne ne venait ? Si la météo polaire avait raison des ardeurs lectrices des Mulhousiens ? Mes yeux balaient la librairie au look résolument moderne et fonctionnel comme je les aime, baignant sous un éclairage savamment pensé pour donner aux lecteurs l’envie de lire les quatrièmes de couvertures. Sauf qu’à ce moment, les lecteurs, je les cherche encore. Mes yeux glissent alors sur ma gauche, là où se trouve l’espace papeterie, plein de cartes de Noël en cette saison, y compris celles publiées par « les éditions du désastre »… et si ces éditions portaient un nom prémonitoire, annonciateur de ma dédicace du jour ?
Heureusement, en même temps que les équipes de la librairie m’amènent un petit café agrémenté d’un biscuit en forme d’étoile qui cette fois n’est pas inaccessible, les premières clientes arrivent dans le magasin. Pour moi, c’est une occasion à ne pas manquer… sauf que je me rends compte que je n’ai toujours pas révisé mes argumentaires de vente ! Tant pis, pas le choix, je m’y lance au feeling, mettant en avant le mot de Valérie la libraire, qui compare mon « Inaccessible étoile » au « Petit Prince » de Saint-Exupery, et à ma grande surprise, ça marche ! Sur le coup de 10h45, je vends ma première « inaccessible étoile » à une charmante Sylvie, qui ira s’envoler vers la chaleur des forêts tropicales aux côtés de Rainbow… ouf, je ne suis pas venu pour rien !
Je n’ai pas le temps de terminer mon café que Chris, Margot, Marie-Lise et son mari Claude puis Yvan lui emboîtent le pas ou plutôt les ailes, s’envolant à leur tour vers l’espoir et au-delà, tandis que Chaïmaa et Muriel se laissent tenter par un mystérieux « Livre qui parle de toi », dont le format poche est à lui seul un argument massue les poussant à adopter les aventures d’Aurélie. Lorsque l’heure de la pause de midi sonne, j’en suis à sept livres vendus, là où, compte-rendu de l’an dernier faisant foi, j’en étais qu’à six à la même heure l’année précédente. Yes ! Éditions du désastre, prenez ça dans les dents !
Puis arrive la pause de midi. Le flux de lecteurs se tarit, tandis que je tire une baguette bien craquante de mon sac, que je mangerai à ma table… ce qui me permet d’ailleurs de capter l’un des rares clients venus sur l’heure de midi. Pour lui, il n’y a pas de salut hors de la science-fiction ! Mais comme cette fois j’avais prévu le coup, je tire un « C’est arrivé en avril » du sac, et hop, v’la déjà Simon qui repart avec un exemplaire des aventures de Karine et Vincent ! J’en suis donc à 8 ventes sur le coup de 13h.
Ensuite… ensuite je me replonge dans mon compte-rendu de l’an dernier. Celui-ci fait état d’un calme plat jusqu’à 16h… du coup je ne m’alarme pas quand sur le coup de 14h, je n’ai encore rien vendu de plus. Je profite de moments de calme plat pour réaliser les photos qui illustrent ce compte-rendu.
Sur le coup de 15h, les clients reviennent, mais s’ils ne se dirigent pas direct vers le rayon papeterie pour s’intéresser aux cartes des éditions du désastre, ces derniers se contentent de flâner entre les livres, lisant consciencieusement les quatrièmes de couverture ainsi que les remarques des libraires. À noter que c’est la première fois que je vois autant de lecteurs potentiels s’intéresser – vraiment – à ce qui est en rayon, comme quoi une bonne lumière rendant la lecture confortable et les retours avisés des libraires font vraiment la différence. Bravo donc aux équipes de cette librairie qui par leur travail font de ce lieu un vrai paradis des lecteurs… seul problème : lorsque les lecteurs s’intéressent à ce qui est en rayon, ils en oublient l’auteur en dédicace.
Les deux ou trois discussions que j’ai avec des clients ne mènent à rien ou presque. Entre 15h et 16h, les seuls qui se laissent aborder sont des fans de polar et de thriller, genres d’ailleurs plébiscités par les lecteurs de cette librairie. Je les informe que j’aurai ça en magasin… l’an prochain. J’en profite même pour tester des pitchs de mon roman « Le protocole Jupiter », toujours en lecture chez mon éditeur… et ça accroche ! L’astronome et la journaliste font un binôme de choc dont le seul défaut est de ne pas encore être disponible à la vente ce samedi de décembre 2023. Résultat : des contacts pris… mais pas de ventes.
Du coup, si je ne veux pas finir aux éditions du désastre, je dois me remotiver ! Sur le coup de 16h, après un second café bien chaud, je passe en mode davaï ! Je reprends mes bonnes vieilles habitudes colmariennes de la semaine précédente : les marque-pages sont à nouveau de sortie, mes regards qui traînent sur les bouquins auxquels les clientes s’intéressent aussi. Grâce à ces premières infos, je parviens à cerner leur profil et ainsi je sais lequel de mes romans pitcher en priorité. C’est ainsi que je place Rainbow et son « inaccessible étoile » entre les mains de Gabrielle, Christine et Marc. Merci à eux.
Mais en cette après-midi, le public est très différent du matin. Plus jeune, plus familial. Plus feel-good surtout. Du coup, après avoir vu les yeux des lectrices s’appesantir sur les romans de Maud Ankaoua – la nouvelle papesse du feel-good de développement personnel – je leur dégaine mon speech type avec lequel je place d’habitude mon bon vieux « Livre qui parle de toi », que son format poche rend encore plus attractif, tant sur le plan du prix que du format. Certaines lectrices m’affirmant d’ailleurs ne lire que des romans sous ce format, ce qui exclut d’emblée tous les grands formats que je pouvais leur proposer.
Ainsi, en à peine deux heures, à l’aide de mes marque-pages et de mon speech de choc, Fred, Marie-Claude, Isabelle, James, Alia, Karine, Françoise, Cathy et Sandrine quitteront la librairie, une édition de poche des aventures d’Aurélie narrées dans « Le livre qui parle de toi » sous le bras. Merci à toutes et à tous. Après mes 18 ventes réalisées l’an dernier dans cette librairie, je pulvérise ainsi mon propre record en ces lieux, ayant placé mes romans entre les mains de vingt futurs lecteurs, sans parler ceux qui attendent déjà les aventures d’Amber et Vincent dans mon futur « Protocole Jupiter » qui s’annonce prometteur… bref, un bilan tout à fait satisfaisant. Un carton plein qui éloigne pour de bon le spectre d’une édition désastreuse…







Dehors, le non-jour a depuis longtemps cédé sa place à la nuit, et un blizzard va rendre les routes dangereuses… c’est ainsi, après un échange très intéressant avec Fabio, l’un des libraires de cette librairie que je vous recommande, je décide de partir quelques minutes avant la fin prévue pour tenter de choper un train qui me ramènera chez-moi avant que le vent polaire ne transforme mon voyage en remake d’un spectacle de Holiday-on-Ice. À 18h20, je remballe donc mes affaires – après avoir presque réussi à vendre un ultime « Livre qui parle de toi » – puis je file direction la gare, ou un nouveau train bondé m’attend. Cette fois, je retournerai chez moi en compagnie de Tunisiens, tandis que deux Suissesses n’ont eu d’autre choix que de faire le voyage assises sur les toilettes du train…
C’est donc sur les coups de 19h que je rentre chez moi, tandis qu’autour de moi le verglas rend chaque pas plus périlleux que le précédent… ouf, il était moins une !
Bilan du jour donc : 11 « Livre qui parle de toi » (de poche) , 8 « Inaccessible étoile » et un « C’est arrivé en avril » vendus, des liens resserrés avec l’équipe de la librairie Littéra, mon propre record en ces lieux battu, et surtout de sérieux indices comme quoi mon techno-thriller déjà écrit a tout pour sentir le best-seller…
